Église d’Augmontel et abbaye de l’Ardorel

La petite église de La Madeleine d’Augmontel est bâtie à l’extrémité d’une grande place, au pied de la colline du même nom qui domine le village. On y accède par la route du Rialet ou par le chemin de la Capélanié étroit et très pentu. Un très ancien lieu de culte a existé au sommet de cette butte, mais il n’en reste rien aujourd’hui. L’église est consacrée à Marie-Madeleine, ce qui est assez rare dans le Tarn, mais caractérise souvent des édifices religieux du XIe siècle. La chapelle primitive remonte-t-elle à cette époque ?

Cette simple petite église de campagne et son cimetière possède beaucoup de charme et invite au recueillement. L’édifice a été rénové en 1998 (peintures, tribune) et l’éclairage extérieur mis en place.

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► La pierre utilisée pour creuser le bénitier provient certainement (c’est l’hypothèse la plus couramment admise) de l’abbaye cistercienne d’Ardorel, fondée en 1124 dont il reste quelques vestiges dans la forêt domaniale reliant Augmontel à Payrin. Nous ne possédons aucune source indiquant formellement la provenance de ce chapiteau mais son
remploi l’a préservé. S’agit-il d’une représentation de Sainte Marie-Madeleine, l’église d’Augmontel étant consacrée à Madeleine ? Qui l’a fait sculpter, à quelle date ? ► A l’intérieur, un très remarquable bénitier de pierre blanche creusé dans un ancien chapiteau de colonne. Du XVè ou XVIè siècle, le bénitier est sculpté sur ses quatre faces. Sur l’une, un ange joufflu déploie ses larges ailes et porte un écusson aux lettres IHS entrelacées.
Les deux faces latérales sont ornées de bustes. Sur l’une, un buste au décolleté arrondi et au visage rebondi encadré de beaux cheveux. Sur l’autre, une femme porte de longs cheveux ondulés qui retombent gracieusement sur ses épaules nues. La tunique qui la couvre est fermée par une fibule.

Les cloches de l’église font l’objet d’un article à part.

► Victor Allègre dans son livre Les richesses médiévales du Tarn [1], paru en 1954 s’étonne :

« Ce n’est pas du tout la simplicité de l’art rural qui caractérise le bénitier d’Augmontel, cette oeuvre du XVIè siècle. C’est un assez grand récipient carré que décorent, sur chaque face, un personnage ou un buste parfaitement conservé. On admire l’ange joufflu aux grandes ailes déployées portant un écusson aux lettres gothiques entrelacées IHS. La ressemblance avec l’une des grandes figures sculptées faisant office de consoles dans l’église de Sémalens est évidente : même technique de l’imagier, même visage poupin, même costume, notamment la collerette lacée ». 

Les consoles de Sémalens et le bénitier ont-ils été sculptés par le même artiste local ?

► Cécile Cauquil auteur du Peigne d’Or note la persistance de la figure féminine ornée d’une opulente chevelure dans les récits et légendes traditionnelles locales. A Mazamet, elle se baigne et lisse sa chevelure avec son peigne précieux. La légende propre à Augmontel raconte que la « femme sauvage » qui sort de sa grotte le 2 février, à l’aube est nue, simplement parée de ses longs et beaux cheveux.

Le mystère demeure et stimule notre curiosité pour les vestiges de notre passé ! Aujourd’hui, le bénitier est le plus bel ornement de l’église et témoigne du passé prestigieux d’Augmontel.

Photos : Extérieur, portail, intérieur, bénitier.

La création de l’Ardorel                                 

► L’église au début du XIe siècle est encore fortement liée au pouvoir des grands seigneurs qui perçoivent des revenus issus des biens de l’église, désignent les prêtres et les prélats. Un mouvement de réforme se développe dans la seconde moitié du Xe siècle pour libérer l’église de la puissance laïque. Le monachisme se développe, en particulier l’ordre des cisterciens qui rompt avec la règle traditionnelle des bénédictins. Le nouvel ordre pratique l’ascèse dans la solitude et insiste sur la méditation intérieure.

► L’abbaye de Sainte-Marie d’Ardorel fut créée en 1124 sous l’impulsion de Cécile de Provence, épouse de Bernard-Aton, vicomtesse de Béziers, femme célèbre pour sa beauté et très pieuse. Elle favorise l’installation d’un petit groupe de moines venant de la communauté de Cadouin en Dordogne (communauté cistercienne fondée par Géraud de Sales) dans une combe déserte du causse d’Augmontel, nommée Ardorel qui signifie terre de labour, à une douzaine de kilomètres de Castres, sur la paroisse de Notre-Dame de Sanguinou, près de Caucalières. Une communauté bénédictine existait peut-être dès 1114 en cet endroit. L’Abbé Elie, Prieur de Cadouin vient avec douze moines défricher le site et construire une première chapelle dédiée à la Vierge Marie, selon la règle de Citeaux.

► Les seigneurs du Vintrou, d’Hautpoul et de Miraval relevant de la vicomtesse, offrent des terres à la nouvelle abbaye et des dons nécessaires à l’entretien de l’abbaye. L’Abbé Elie, une fois l’abbaye bien développée, s’en retourne à Cadouin, laissant le soin à l’Abbé Foulque de gérer l’abbaye. Rapidement, en une quinzaine d’années, l’abbaye possède un rayonnement considérable. Son influence spirituelle suscite la création de deux autres monastères, Notre dame de Valmagne en 1138 et Saint Sauveur de Sira en 1139. Enfin, en 1162, un troisième monastère est fondé à Notre-Dame du Jau. Les divers monastères gardent des liens spirituels entre eux, le père abbé d’Ardorel visite régulièrement les établissements fils.

► Décédée en 1136, Cécile de Provence est inhumée au prieuré, dans l’église conventuelle. Le tombeau recouvert d’une dalle porte une inscription en latin :  » Que celui qui l’ignore, sache que repose dans ce sarcophage, la très digne Dame Cécile. C’est elle qui a fondé le monastère et ses dépendances, a doté les frères de ses nombreux terrains en friches et de ses nombreuses terres arables. Par conséquent les moines présents, et aussi ceux qui leur succéderont, doivent prier pour cette défunte, eux à qui tous ces biens ont été donnés en ce lieu. » Cette dalle a été détruite à la révolution.

Une abbaye prestigieuse

► Roger, fils de Cécile, Vicomte de Carcassonne, d’autres grands seigneurs comme Trencavel, Armengaud, le seigneur du Vintrou, le seigneur d’Hautpoul font des dons considérables au monastère. En 1163, Huc du Vintrou et sa femme donnent le Mas de fronze. Un document conservé aux Archives départementales du Tarn mentionne les testaments faits en faveur de l’abbaye par Arnaud Ramond, seigneur d’Hautpoul, le 29 décembre 1222. Ce parchemin de 12 cm sur 18, mentionne les biens légués à la communauté religieuse, tous les droits du seigneur sur la Bordaria de la Boqueta, et diverses quantités de grains aux églises de la contrée, aux maladreries de Labruguière et de Saint-Amans et à l’hôpital de Labruguière. Le testament porte la mention de leur souhait d’être inhumé dans l’enceinte du monastère. En 1283, Jourdain de Saissac, ancien cathare, se montre très généreux envers l’Ardorel.

► Le domaine de l’abbaye s’étend largement sur la paroisse de Saint-Pierre de Fronze, à Fontalba, Roussoulp, Saint-Alby, Aussillon, Caucalières. Une grange (Les granges sont des domaines agricoles gérés par les moines) se forme à La Rode, paroisse de Lempaut. A Augmontel, hameau créé par les moines, les fermes exploitées sous leur direction portent peut-être déjà les noms de Mirassou, Cantegrel, La Crozes ? Le Père abbé administre le petit bourg, lève les dîmes et rend justice ( L’abbaye a gardé des privilèges étrangers à la règle stricte de Citeaux). L’exploitation des granges est assurée par des convers issus de la paysannerie, les moines de chœur effectuent peu de travaux manuels, mais copient et illustrent d’enluminures les manuscrits.

► Au milieu du XIIIe siècle, l’abbaye compte treize moines, dont des fils (souvent des cadets) de seigneurs descendants des premiers donateurs. La règle cistercienne primitive très stricte, isolement, silence, frugalité, travail manuel, travail aux champs, prières s’est assouplie dès la fin du XIIe siècle. Pendant plus de 400 ans les moines d’Ardorel mènent une vie simple, entre travaux des champs et recueillement au sein de la forêt reliant le village de Payrin à celui d’Augmontel. Mais, les guerres de religion opposant les protestants, qui tenaient la vallée du Thoré, aux catholiques, affaiblissent l’abbaye. En 1573, l’Abbé d’Ardorel demande de l’aide aux catholiques pour faire rentrer les revenus des fermes situées sur la rive gauche du Thoré. Les catholiques assiégés à Saint-Alby capitulent devant les calvinistes de Mazamet, de Saint-Amans et de la montagne.

La fin de l’abbaye

► En 1586, un parent de l’Abbé, converti au calvinisme s’introduit par ruse dans l’abbaye, et avec ses complices, poignardent les moines dans l’église. Les moines massacrés sont jetés dans le puits du cloître. La riche abbaye est finalement pillée et incendiée. Quelques rescapés au massacre se refugient dans la « grange » de la Rode à Lempaut.

Le prieuré ne fut jamais reconstruit, le site resta dès lors abandonné. En 1684, une note du diocèse de Castres précise qu’ »il ne reste que les murs de l’église et le puits au milieu de la cour ». La Rode accueille les moines de l’Ardorel et par la suite, les nouvelles vocations.

Les ruines

► Des fouilles entreprises à l’Ardorel, dans la seconde moitié du XXe siècle, en particulier dans le puits, mirent à jour des ossements, un squelette portant une croix de l’abbaye, une crosse d’abbé. Avant la seconde guerre mondiale, on distinguait encore nettement les ruines de l’abbaye à travers la végétation. Un puits, quelques soubassements, les fondations de l’église et de la vaste salle capitulaire, des pans de murs envahis par les ronciers sont les seuls vestiges laissés à l’abandon de cet ensemble autrefois remarquable, situé aujourd’hui en terrain militaire non accessible au public.

 Plan de l’abbaye reconstitué par Jean-Pierre Ferrer

► Quelques pierres sculptées provenant de l’abbaye se retrouvent ici et là, à Mazamet, au musée d’histoire locale, sur une façade de la salle des fêtes et dans la salle de la Maison des Jeunes d’Augmontel ainsi que sur des murs d’habitations du village.

Ainsi, une pierre ouvragée représentant une crosse d’évêque provenant d’une clé de voûte a été insérée dans le mur d’une ferme, malheureusement à l’envers.

• Photos : pierres sculptées sur la façade de la salle des fêtes d’Augmontel (remploi de pierres de l’abbaye).
• Sources : E. Cayre, les seigneuries de l’’Hautpoulois. Albi 1972.
Frère Ferras : Un haut lieu cistercien, l’Ardorel. Castres.1978

Notes :
[1] cité par Cécile Cauquil dans le Dialogues n°4, page 26, « Le bénitier d’Augmontel ».